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Blog à donf

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25 mai 2008

Envie d'ailleurs

Avec une nonchalante lassitude, elle plia le journal et le jeta sur le carrelage. Le bruit du papier fit tressauter son chat qui était venu se frotter à ses jambes, content de laisser son odeur sur son pantalon froissé. Il la regarda, interdit et déboussolé sur les raisons qui l’avait poussée à casser l’harmonie de ce moment privilégié où elle rentrait chez elle et où elle se vidait de toutes les tensions inutiles de la journée. Pourquoi fallait-elle qu’elle gâche ce merveilleux moment de plaisir, ce moment magique de retrouvailles quotidiennes. Il se sentit soudain bien seul et décida alors de partir, avec son amour pour elle, et de se blottir dans son panier d’osier avec sa seule odeur pour compagne.

La vie est pleine de moments gâchés, se disait-elle, alors qu’elle jeta le quotidien sur le carrelage. Elle avait souvent le besoin de recentrer sa vie sur ces bouts de phrases toute faites, comme pour prendre conscience que son quotidien n’était pas si anodin qu’il n’y paraissait. Etait-ce pour fuir ces moments-là ou pour donner à sa vie un air de poésie ? Quoiqu’il en soit, elle aimait donner à sa vie des envolées lyriques ou encore des haltes existentielles qui ne servaient à rien d’autre que d’être ce qu’elles étaient. Exploiter ces petits moments irrésistiblement banals, explorer sa conscience et vivre pleinement ce petit moment insignifiant était pour elle une manière de fuir son quotidien forgé d’habitudes et de rituels.
Elle avait ainsi pris l’habitude de magifier certains moments, simplement pour se prouver que la vie ne s’arrêtait pas là. Lorsqu’elle passait le pont, comme tous les autres matins, le petit pont qui l’amenait à son lieu de travail, elle s’était attardée sur les mouettes qui s’étaient posées par dizaines sur les petits pilotis qui émergeaient du grand fleuve. Dans les matins glaciaux de ces mois d’hiver, une petite foule de mouettes étaient posées là, dos au soleil, à regarder les petits feux follets que la rivière reflétait et faisait chanter dans leurs yeux. Le soleil des mouettes était dans cette eau glaciale et elle s’imaginait la splendeur de ce spectacle aux yeux des petits oiseaux blancs. Le fleuve prenait alors une dimension mystique qu’elle seule semblait percevoir; les petites mouettes qui admiraient les reflets de l’eau lui rappelait les ablutions qu’elle n’avait encore jamais faites dans le Gange. Ce petit bout de ville prenait des airs de Bénarès, il suffisait d’abaisser son regard au fil de l’eau et de voir à travers les yeux des oiseaux pour s’en apercevoir. Comme la vie pouvait être belle par moments; sa douceur était encore plus éclatante que ces moments-là existaient côte à côte avec la froideur de l’hiver et le vacarme de la ville. Ils étaient comme une bulle, comme une oasis au milieu d’un carrefour agité et grouillant.

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